Dans les vastes plaines de l’est du Colorado, le comté de Lincoln, peuplé de moins de 6 000 habitants, abrite un hôpital unique en son genre à des kilomètres à la ronde. Géré par le réseau Lincoln Health, cet établissement de Hugo lutte pour sa viabilité financière en raison de la faible densité de population. Pourtant, il bénéficie d’un soutien inattendu : une taxe spécifique sur les prestataires de soins de santé. Ce mécanisme fiscal, utilisé par presque tous les États américains, permet de générer des fonds étatiques qui déclenchent des contributions fédérales supplémentaires pour le programme Medicaid. Ce système a permis au Colorado d’étendre la couverture de Medicaid à des centaines de milliers d’adultes à faibles revenus et de renforcer la stabilité financière de ses hôpitaux, notamment ceux en milieu rural. Toutefois, ce modèle est contesté par certains législateurs républicains qui y voient une faille budgétaire et envisagent de le réduire, ce qui pourrait bouleverser l’équilibre fragile des soins dans les régions éloignées.
À retenir :
- Les taxes sur les prestataires médicaux permettent aux États d’obtenir plus de fonds fédéraux pour Medicaid
- Au Colorado, elles financent 5 milliards de dollars du programme Medicaid, soit un tiers de son budget
- Des républicains au Congrès souhaitent limiter, voire supprimer ces taxes, menaçant la couverture de millions de personnes
Un soutien vital pour les hôpitaux ruraux
Dans les zones peu peuplées, la survie des hôpitaux repose en partie sur les recettes issues des taxes sur les prestataires. Lincoln Health en est un exemple frappant.
Situé à Hugo, à plus d’une heure de tout autre établissement, Lincoln Health a versé 500 000 dollars en taxes l’an passé. En retour, il a reçu plus de 3,6 millions de dollars supplémentaires via Medicaid. Ce montant représente environ 15 % de son budget annuel, selon son PDG, Kevin Stansbury.
« Ces recettes nous permettent de soigner les patients couverts par Medicaid sans être déficitaires », explique-t-il. Sans ce soutien, la viabilité de l’hôpital serait sérieusement compromise.
Ce modèle favorise également l’accès aux soins pour les personnes sans assurance, puisque l’expansion de Medicaid a réduit leur nombre dans les services d’urgence.
Un mécanisme fiscal largement adopté
Depuis les années 1980, presque tous les États, sauf l’Alaska, utilisent cette stratégie pour renforcer leur financement Medicaid.
- Les taxes sur les prestataires permettent aux États de générer des fonds utilisés pour réclamer des contributions fédérales proportionnelles, jusqu’à 77 % selon la population ciblée.
- Ces fonds aident à compenser les faibles remboursements de Medicaid par rapport à Medicare ou aux assurances privées.
- Certains États, comme l’Idaho ou la Californie, ont introduit ou élargi ces taxes pour faire face à des défis budgétaires ou maintenir l’expansion de Medicaid.
En Californie, ces prélèvements devraient générer près de 9 milliards de dollars en 2024-2025, représentant environ 5 % du budget Medicaid de l’État.
Une remise en cause politique croissante
Certains élus et experts conservateurs remettent en question la légitimité et l’efficacité de ces taxes, accusées de masquer les dépenses publiques réelles.
Brian Blase, ancien conseiller de la Maison-Blanche, considère ces montages financiers comme une source de gaspillage. Selon lui, les États ne sont pas incités à contrôler leurs dépenses, car ils peuvent récupérer des fonds fédéraux sans contrainte.
Le Congressional Budget Office estime que la suppression de ces taxes permettrait au gouvernement fédéral d’économiser plus de 600 milliards de dollars sur dix ans. Des représentants comme Brett Guthrie (R-Ky.) envisagent d’inclure cette mesure dans les négociations budgétaires visant à prolonger les réductions d’impôts adoptées sous l’administration Trump.
Des critiques dénoncent également leur usage pour financer des programmes non couverts par Medicaid, comme en Californie, où des fonds sont utilisés pour couvrir les soins de certains immigrants sans statut légal permanent.
Des conséquences concrètes sur le terrain
Au-delà des débats politiques, ces taxes ont des effets tangibles sur les services de santé, notamment dans les zones rurales ou pour les populations vulnérables.
- Au Colorado, les recettes fiscales contribuent à un fonds de 60 millions de dollars destiné à soutenir les hôpitaux ruraux. Cela permet l’introduction de services comme la télémédecine ou le maintien de maternités dans des zones isolées.
- À Alamosa, San Luis Valley Health a versé 5,4 millions de dollars en taxes et en a retiré environ 15 millions en subventions et remboursements améliorés. Ce soutien a permis de maintenir une unité obstétrique indispensable à la région.
- Le programme Medicaid du Colorado, financé en partie par ces taxes, couvre aussi des travailleurs en situation de handicap dont le revenu dépasse les seuils traditionnels d’éligibilité. Environ 20 000 personnes sont concernées.
Alison Sbrana, résidente de Fort Collins atteinte d’un syndrome de fatigue chronique, dépend de ce programme pour ses soins à domicile. Si ces prestations disparaissaient, elle serait contrainte d’arrêter de travailler pour rester éligible à Medicaid.
Une source de financement sous surveillance
Si les taxes sur les prestataires sont autorisées par la loi fédérale, elles font l’objet d’un examen accru de la part des instances de contrôle et du Congrès.
Des entités comme le Government Accountability Office et la Medicaid and CHIP Payment and Access Commission ont exprimé leurs préoccupations sur la transparence de ces dispositifs. Plusieurs présidents, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont déjà suggéré de limiter leur usage.
Cependant, leur suppression reste difficile à mettre en œuvre face à l’opposition des hôpitaux, des maisons de repos et des autorités locales. Ces acteurs soulignent que les taxes sur les prestataires sont une solution apolitique qui permet aux États de maintenir l’accès aux soins malgré des budgets restreints.
Le Colorado figure parmi les nombreux États ayant utilisé ce mécanisme pour financer l’expansion de Medicaid instaurée par la Loi sur les soins abordables. En 2024, environ un tiers de son budget Medicaid repose sur ces taxes, soit près de 5 milliards de dollars.
Certains versements sont conditionnés au respect de normes de qualité, comme la réduction des réadmissions hospitalières, ce qui, selon les responsables locaux, améliore la qualité des soins pour l’ensemble des patients.
Les débats actuels autour du budget fédéral pourraient redéfinir l’avenir de ce financement. Les décisions à venir auront des répercussions directes sur la santé de millions d’Américains, en particulier dans les régions les plus isolées.
La poursuite ou la réduction des taxes sur les prestataires façonnera profondément l’équilibre entre besoins de santé publique et contraintes budgétaires nationales.